Chaque année, des sessions de passages de grade sont organisées au sein de la Faage. C’est un rendez-vous important de notre Ecole, car il rassemble tous ses licencié-e-s et « célèbre » notre pratique. Comment sont organisés les grades ?  Que signifient-ils au sein de l’aikiryu ?

Les grades des arts martiaux dans l’histoire récente

Du 16ème au 19ème siècle, les grades des arts martiaux étaient des certificats. Ces certificats, ou menkyos, étaient tous décernés par le maître et calligraphiés. Le 1er menkyo, menkyo shoden, attestait simplement de l’appartenance de l’élève à une école. Le menkyo chuden, le second certificat sanctionnait sa progression. Un troisième, le menkyo okuden, était décerné quand l’élève avait maîtrisé les enseignements essentiels, et un dernier, le menkyo kaiden, pouvait faire de lui l’héritier de l’école ou le fondateur d’une nouvelle branche de cette école (cf. Noboyushi Tamura, Étiquette et transmission, p. 86 et 87). On ne recevait souvent le 1er menkyo qu’au bout de plusieurs mois, après avoir montré son engagement et sa loyauté envers l’école. Quant aux autres certificats, il pouvait se passer plusieurs années avant qu’il en soit décerné un par le maître.

Aussi les arts martiaux traditionnels comportaient souvent une partie spirituelle, secrète, voire ésotérique, et le dernier menkyo ouvrait donc en principe le droit d’enseigner. Les enseignants étaient donc des «initiés», ce qui leur conférait un rôle moral et spirituel particulier.

A partir de 1902, le Dai Nippon Butokai crée le système japonais actuel de graduation, que la Faage a gardé dans sa forme, tout en le modifiant sur sa signification.

Au commencement il y a les kyu, puis les dan …

Après quelques semaines de pratique de l’aikiryu au dojo, votre enseignant vous proposera probablement de passer un grade. Le premier de la série est le 6e kyu, puis viendra le 5e kyu quelques mois plus tard, puis le 4e etc. Après le 1er kyu, ce sont les grades dan : shodan (ou 1er dan), nidan ( 2e dan), sandan (3e dan)… Vous comprenez sûrement la logique.

A l’origine, Kyu veut dire « étape ». Le Kyu est donc une étape qui mène vers le 1er grade ou Dan. Au sein de notre Ecole, nous considérons que les kyus sont tout aussi importants que les dans.

Le grade n’est pas une fin en soi. Il marque simplement un changement d’état dans l’évolution personnelle du pratiquant.

Il s’agit simplement de la reconnaissance par toute l’Ecole, c’est-à-dire l’ensemble de ses pratiquants, enseignants inclus, que le développement de l’évolution personnelle de celle ou celui à qui il est décerné a changé d’état. Pour cela, il est célébré par un temps spécifique, nommé « passage », où tous les acteurs ont leur importance, et où le pratiquant est au centre de l’action.

Lors d’un passage de grade, le pratiquant va présenter sa pratique de l’aikiryu. A travers les techniques martiales, des éléments comme la précision, la posture, l’attitude ou la puissance seront appréciées par les examinateurs. On comprend alors aisément que la qualité d’engagement des partenaires, les ukes, participe complètement de la réussite de ce moment de présentation. Les examinateurs encouragent beaucoup ce moment en proposant une série d’épreuves où l’enjeu n’est pas de réussir, mais de vivre réellement une expérience corporelle qui le plus souvent marque le changement. Comme un déclencheur, l’épreuve vécue propose le commencement d’une piste de travail à venir, pour la prochaine étape, pour le prochain grade donc.

Le grade ne signifie donc pas la récompense d’une valeur technique ou d’une connaissance supérieure. Il marque, pour chacun-e des pratiquant-e-s, un stade de développement sur son propre parcours, et ce stade est reconnue comme ayant un stade précédent vécue, et un autre à vivre, en référence à un chemin vers la verticalité, c’est-à-dire symboliquement, et pour prendre un raccourci, vers l’accomplissement de soi, en tant qu’être humain, qui se tient droit entre le ciel et la terre, et qui s’harmonise avec l’univers.

Ainsi, le passage de grade relève plus d’un rituel, d’une expérience à vivre, d’une démonstration de l’avancement dans sa pratique, que de l’assurance que telle technique est acquise, ou que tel principe est compris. Ce qui est examiné, ce qui est apprécié, c’est la proposition du parcours accompli et à suivre du pratiquant, ce sont les efforts fournis, et non la longueur du chemin parcouru. Lorsque deux pratiquants passent le même grade, leurs potentiels sont très différents selon leur âge, leur situation physique, leur vécu, si bien que chaque passage est unique.

Le grade ne génère pas de hiérarchie, ni de dépendance ou de soumission, ni de subordination et encore moins de privilège dans l’Ecole ou dans le dojo. Ainsi, le passage de grade est à la fois individuel et collectif, car le changement d’état de l’individu modifie le changement d’état de tous les autres, et c’est l’Ecole en entier qui évolue.

Beaucoup de gens se déplacent lors des passages de grades : les examinateurs, les candidats, les ukes … et la courtoisie de chacun impose de ne pas faire perdre de temps à toutes ces personnes. Ainsi, personnellement, j’ai toujours pris les passages de grades au sérieux. Je parle bien des passages, pas des grades. Je m’y suis toujours rendu avec le même état d’esprit (sauf la première fois car j’étais en totale découverte), celui d’avoir la joie de bénéficier d’un cours très particulier, car j’avais rendez-vous avec moi-même, et l’examen allait me permettre à la fois de prendre conscience de mes progrès, de recevoir un cours très personnel et personnalisé, de me voir proposer les axes de progression à venir et en corollaire le travail à fournir. Cela a toujours été un cadeau magnifique.

Enfin, je voudrais faire remarquer la place des ukes lors des passages. En effet, de bons ukes, c’est-à-dire des ukes engagés dans leurs attaques et capables de recevoir les techniques de seme quelque soit l’intensité de sa pratique, permettent de mettre en relief la qualité de pratique de seme. Sans cela, il ne s’agira que d’une présentation terne et sans intérêt, et l’examen du passage n’en sera que plus difficile.

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